Benjamin Cadon est coordinateur de l’association La Labomédia basée à Orléans. Elle regroupe un medialab, un fablab et un hackerspace pour aider les individus et collectifs à réaliser des projets artistiques, culturels et sociaux impliquant une dimension technologique. La Labomédia développe le projet FuturEtic dont-il vient nous parler.
Benjamin, peux-tu nous présenter en quelques mots FuturEtic ?
FuturEtic est un projet que nous avons lancé avec La Labomedia en coopératiojn avec Le FUNLab [Fabrique d'Usages Numérique] de Tours en tout début d’année 2021. L’idée est de proposer des outils numériques éthiques en ligne, qui s’appuient sur des logiciels libres open source, installés sur un serveur alimenté à l’énergie renouvelable, avec une politique de respect de la vie privée de transparence et de non-collecte des données.
FuturEtic fait partie d’un parcours faisant suite à une initiative de l’association française Framasoft qui a souhaité « dégoogliser Internet » pour offrir d’autres possibilités que les outils des grandes entreprises américaines qu’on appelle GAFAM. L’initiative a très bien marché, Framasoft a donc proposé le projet « CHATONS » [Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires], décentralisant les services en proposant à des collectifs de mettre en place eux-mêmes ces services. FuturEtic n’est pas un « CHATONS » ou ne l’est pas encore, mais nous sommes totalement dans cette logique et cette dynamique.
Peux-tu nous présenter les outils que FuturEtic propose ?
Nous avons mis en place des outils de visioconférence puisqu’en temps de crise sanitaire, ce sont des outils que l’on utilise de plus en plus. Nous avons donc mis en place BigBlueButton, un système de visioconférence libre, open source, au départ plutôt développé pour faire de la formation à distance qui se trouve bien fonctionner aussi pour des réunions, ateliers en ligne ou webinaire… Il peut accepter entre 100 et 150 personnes en simultanée, ce qui est une bonne capacité d’accueil.
Nous avons mis en place un autre outil de visioconférence sur Jitsi Meet, qui est très simple car il suffit de se rendre à l’adresse correspondante pour avoir accès à l’outil de visio, sans inscription, ni besoin d’installer de logiciel. Celui-ci, en revanche, accueille moins de participants, une dizaine.
Il existe aussi des outils d’édition collaborative dont une suite bureautique en ligne, Cryptpad, développée par une entreprise française. Il propose du traitement de texte, tableur, gestion de projet, dessin, etc.
Il y a un autre outil un peu plus particulier, Codimd, qui correspond à un pad, donc pour travailler à plusieurs, et qui a la propriété de permettre des mises en forme multimédia, d’intégrer des vidéos, de transformer rapidement et efficacement un document en présentation. Il est bien adapté pour présenter des contenus riches, avec des vidéos, des sons et des images.
Nous avons aussi promu l’existence d’un outil de cloud, basé sur Nextcloud, qui propose toute une palette d’outils utiles au quotidien, que nous utilisons depuis plusieurs années à La Labomédia. Il permet de faire du partage de fichiers, (l’équivalent de DropBox en plus « sympathique ») mais aussi de gérer des agendas en commun, des contacts, un bureau avec la possibilité de gérer des projets en mettant des étapes de travail, et en assigne les étapes à des personnes, plus tout un ensemble d’outils. Nextcloud s’agrémente d'autres logiciels, comme un gestionnaire de mot de passe, un outil de visio…
Nous avons également mis en place une instance Mobilizon, qui a vocation à proposer une alternative aux événements Facebook. Elle est encore un peu naissante. Nous avons aussi mis en place Minetest, qui est l’équivalent de Minecraft pour des ateliers avec des enfants, et Moodle pour de la formation à distance à la langue française pour des personnes migrantes, ou réfugiées. Moodle peut intégrer BigblueButton pour, par exemple dans le cadre d’un groupe activer un module visio, envoyer les élèves vers des exercices, puis revenir.
Enfin, Je peux vous annoncer que nous travaillons sur la création d’une instance PeerTube (l’équivalent d’un Youtube Libre) qui a la propriété de pouvoir se fédérer avec d’autres instances, et donc favoriser le partage de vidéos entre différents projets, lieux, territoires. L’idée est de mettre en place un PeerTube régional plutôt orienté sur des questions culturelles, liées à l’écologie et la pédagogie. La plateforme sera lancée lors d’un éditathon à l’occasion des Human Tech Days, les19 et 20 mai prochains.
Pour tous ces outils, des tutoriels ou temps de prise en main sont-ils prévus ?
Pour le moment, nous nous sommes surtout activés à mettre en place ces outils, pour les faire fonctionner correctement, faire des sauvegardes, etc. Et nous rentrons effectivement dans un temps où nous devons à la fois agréger des tutoriels existants et en produire d’autres lorsque c’est nécessaire, et être de plus en plus dans la capacité d’accompagner les utilisateurs, individuellement et collectivement vers la prise en mains de ces outils. Un certain nombre d’utilisatrices et utilisateurs nous ont aidé·e·s à « essuyer les plâtres » en étant relativement autonomes sur la prise en mains des outils. L’étape suivante, c’est d’être plus en capacité d’accompagner et de produire des ressources pédagogiques.
Comment pourrait-on répondre à la question « Pourquoi utiliser FuturEtic pour mon association ? »
Une maxime assez connue dit « quand c’est gratuit, c’est que nous sommes le produit ». C’est souvent le cas pour des outils commerciaux dont le modèle économique n’est pas toujours mis en avant. Pour Google et Facebook, l’énorme majorité de leur chiffre d’affaires, plus de 90%, est issu de la publicité. Cela signifie que la contrepartie de l’utilisation de leur produit est la collecte de nos comportements, de nos données privées, personnelles, qu’ils vont réussir à monétiser via la vente de publicités ciblées. Ce système a un nombre de biais importants. Ces entreprises multinationales sont tellement puissantes qu’elles font office de ce qu’on peut appeler du « soft power », donc de politique extérieure pour les Etats-Unis. Le cas le plus connu étant sans doute « Cambridge Analytica » qui a exercé une sorte de manipulation des informations distribuées sur Facebook pour modifier les résultats de l’élection présidentielle américaine de 2016. Cela amène un certain nombre de questions et de préoccupations par rapport à nos démocraties. Il y a beaucoup d’autre raisons que je pourrais évoquer, mais il est important de pouvoir avoir des alternatives.
On part aussi du principe que le milieu associatif nous fait embrasser un certain nombre de valeurs, de solidarité, d’entraide, de buts non lucratifs, qui correspondent plus à des projets comme ceux de Framasoft et FuturEtic que celui des grandes entreprises qui ont avant tout envie de gagner de l’argent. Ce sont des choix à réfléchir. Même s’il est parfois un peu plus contraignant de prendre en main ces outils éthiques, le jeu en vaut la chandelle.